Durania blayaci,
rudiste
du Cénomanien moyen de
l’île Madame (Charente-Maritime)
Lieu de la
découverte et description du spécimen
Ce
« bouquet » de rudistes provient de la fin du Cénomanien moyen de l’île Madame (unité C3) où il a été trouvé en 2016 par des promeneurs.
Durania
blayaci
(Toucas, 1909) appartient à la famille des Radiolitidae et à la sous-famille des
Sauvagesiinae. Cette espèce est répandue dans le Cénomanien de l’Algérie et de
la Tunisie. En France, Toucas1 la cite dans le
Cénomanien de l’île Madame (trouvée par Arnaud) et G. Breton2 dans le même
étage au Cap de la Hève en Seine-Maritime.
Photo n°1 :
largeur du bloc = 25 cm ; hauteur du bloc = 30 cm
Eléments d’identification de l’espèce rapportés par Toucas (1909) et F. Chickhi-Aouimeur (1998), et observés sur le spécimen étudié.
Ce
bloc est constitué de dix individus assemblés en « bouquet », prémices d'une organisation coloniale. A cet
égard, les paléontologues s’accordent pour considérer que l’adoption d’un mode
de vie colonial par certaines espèces de rudistes est tardif (Cénomanien
moyen). Il coïncide avec l’apparition d’une morphologie conique ou cylindrique
de la valve fixée. Par coalescence des coquilles les rudistes constituaient des
édifices construits dont la structure rappelle les récifs coralliens.
Toutefois, contrairement aux coraux, ils accroissaient la colonie par fixation
de larves issues d’une reproduction sexuée (Photo n°2). Durania blayaci est une
illustration de l’évolution de ce type de rudistes (J. Phillip3 ; A.
Chéreau4). Il n’a
cependant pas atteint le stade bio-constructeur des hippurites.
Photo n°2
Exemple de juvénile
accroché à la paroi
d'un adulte
Eléments d’identification de l’espèce rapportés par Toucas (1909) et F. Chickhi-Aouimeur (1998), et observés sur le spécimen étudié.
Le genre Durania regroupe les Radiolitidés dépourvus d’arête ligamentaire,
présentant un test de structure prismatique polygonale et ayant deux bandes
radiales lisses ou costulées plus ou moins concaves.
L’espèce Durania blayaci présente les caractéristiques suivantes :
- la valve fixée adopte
une forme cylindro-conique d’assez grande taille. Le spécimen étudié est
composé de dix individus dont la longueur varie entre 10 et 16 cm. Elle est ornée de côtes longitudinales plus ou moins
prononcées parfois groupées par 2 ou 3 et séparées par des sillons de 2 à 3 mm
de largeur (photo n°3 ci-dessous). Le diamètre de l’opercule fluctue entre 6 et 8 cm.
- La
valve libre est bien conservée sur l’ensemble des individus. Elle est plate,
mince et d’aspect translucide. De fines zones de croissance concentriques sont
visibles sur la bordure. La commissure est finement plissée (photo n°4).
- Les lamelles
transverses peu nombreuses sont au nombre de 3 ou 4 (photo n°5).
- Les
bandes radiales sont larges, mais de taille inégale. La bande antérieure (Eb),
la plus développée, est plate ou légèrement déprimée. La bande postérieure (Sb),
plus étroite de moitié est plus concave. Toutes deux sont couvertes de fines
côtes longitudinales (environ 20 sur Eb). (photo n°6).
- L’interbande
(Ib) comporte, dans sa partie médiane déprimée, 3 côtes longitudinales de même taille que celles des bandes (photo n°6). Elle est relevée sur ses bordures par des
côtes semblables à celles du pourtour.
- La coquille est très
épaisse du côté dorsal (2 cm) et s’amincit du côté des bandes, ce qui confère
un aspect excentré au capuchon bombé de l’opercule (photo n°4).
photo n°4 : valve operculaire
*
photo n°5 : lamelles transverses
photo n°6 : bandes radiales et interbande
Dans son article relatif aux Sauvagesiinae d’Algérie, F. Chikhi-Aouimeur5 confirme l’exactitude des descriptions faites par Toucas en 1909, complétées par celles de Pervinquière en 19126, en regard de ses propres observations. Elle rappelle notamment l’importance de la largeur inégale des bandes radiales et du détail de l’ornementation du test. Elle considère qu’il faut écarter le critère « interbande toujours saillant » introduit par Moret en 19357, et tenir compte de « la très grande variabilité de cette espèce au niveau de la costulation et de l’interbande ».
Un peu d’histoire sur l’identification des différentes espèces de Sauvagesiinae.
En 1862, Coquand créa Radiolites nicaisei découvert dans le sud algérois. Il limita les caractères distinctifs de l’espèce à l’existence de bandes siphonales plus ou moins égales séparées par un sillon étroit et d’une costulation spécifique.
En 1880, Coquand note sur du matériel d’une autre provenance l’existence d’une arrête ligamentaire et fait passer l’espèce nicaisei dans le genre Sphaerulites.
Peron8, en 1890, remarqua l’anomalie mais ne fit pas de l’arête ligamentaire un critère de détermination. Il notera simplement les faibles différences entre ce rudiste et d’autres formes, portugaise (Sauvagesia sharpei) ou française (Durania cornupastoris). Toucas1, considèrera que Durania blayaci est une mutation de Radiolites nicaisei. D’une manière générale, les paléontologues qui suivront appeleront l’attention sur la grande variabilité de la costulation et de l’interbande de Durania blayaci.
En 1908, Douvillé9 estima que les formes costulées et à bandes également costulées appartenaient à une branche distincte des Radiolitidés au sein de laquelle les formes pourvues d’une arête cardinale relevaient du genre Sauvagesia et celles, plus récentes, dépourvues d’arête cardinale d’un genre nouveau qu’il dénomma Durania (de Duranius = Dordogne).
Utilisant les éléments d’identification élaborés par Toucas1, Pervinquière6 entreprit en 1912 la révision d’un certain nombre de spécimens les rattachant à l’un ou l’autre genre en se basant en grande partie sur l’ornementation.
Le débat ne fut pas pour autant clos puisque des auteurs plus récents, Polska en 1967, Sirna en 1971 et 1983 argumentèrent encore sur les spécificités observées sur l’interbande de nouveaux matériels collectés pour leur attribuer une détermination précise.
La thèse de L. Troyat-Garcia, publiée en 201510, et relative aux rudistes du Cénomanien/Coniacien des Pyrénées méridionales et centrales, ne conforte aucune des conclusions avancées par ces différents chercheurs. Celui-ci souligne en revanche les modifications apportées par F. Chikhi-Aouimeur en 2010 à certaines de ses précédentes identifications relatives à cette espèce, accréditant de fait, comme d’autres auteurs avant elle (Péron8), la nécessité d’une révision des espèces des genres Sauvagesia et Durania.
Aujourd’hui, les paléontologues déplorent que le manque de rigueur constaté depuis plus d’un siècle dans la définition du type de Sauvagesia nicaisei entretienne une confusion dans la désignation d'espèces voisines morphologiquement et présentes dans des sédiments de même âge comme Durania blayaci.
En effet, si les quatre caractéristiques attachées à la distinction des espèces de Sauvagesia, c'est à dire - l'ornementation, la morphologie des bandes radiales et de l'interbande, l'arête ligamentaire, la microstructure du test (1) - ne sont plus contestées, il n’existe pas encore de véritable parti pris fondé sur un degré de variabilité constaté sur l'interbande des différents individus et suffisamment acceptable pour éviter de multiplier arbitrairement le nombre des espèces.
En effet, si les quatre caractéristiques attachées à la distinction des espèces de Sauvagesia, c'est à dire - l'ornementation, la morphologie des bandes radiales et de l'interbande, l'arête ligamentaire, la microstructure du test (1) - ne sont plus contestées, il n’existe pas encore de véritable parti pris fondé sur un degré de variabilité constaté sur l'interbande des différents individus et suffisamment acceptable pour éviter de multiplier arbitrairement le nombre des espèces.
(1) le caractère distinctif de la structure prismatique polygonale du test peut être observé sur la pièce étudiée malgré l’érosion subie par le spécimen.
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N.B. : je remercie Christine Schremer, présidente de la très active association « Les Chats de Jade » qui se consacre aux Sciences de la Vie et de la Terre, de m’avoir confié ce rare spécimen de rudiste pour étude et identification.
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Références documentaires
1Toucas Aristide – 1909 – Classification et évolution des radiolitidés - 3ème partie - page 91.
2Breton Gérard – 1996 – Un groupe de juvéniles conservés dans la cavité palléale d’un rudiste radiolitidé du Cénomanien du Havre.
3Phillip Jean – 1972 – Paléoécologie des formations à rudistes du Crétacé supérieur – l’exemple du sud-est de la France (page 214).
4Chéreau Audrey et al. – 1997 - Un modèle dynamique de plate-forme carbonée à rudistes - le Cénomanien d’Oléron (page 8).
5Chikhi-Aouimeur Fettouma – 1998 – Sauvagesiinae du Cénomanien supérieur de la région de Berrouaguia, sud d’Alger.
6Pervinquière Léon – 1912 – Paléontologie tunisienne II. Gastéropodes et lamellibranches des terrains secondaires.
7Moret Léon – 1935 – Durania delphinensis et révision du genre Durania.
8Péron Alphonse -1890 – Description des mollusques fossiles des terrains crétacés. Tunisie.
9Douvillé Henri – 1908 – Sur la classification des radiolitidés.
10Troyat-Garcia Luis – 2015 – Rudistas del Cenomaniense/Conisence del Pyreneo meridional/central.
Sylvain GERY, le 7 avril 2018.
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